Formule d'Euler-Maclaurin

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Portrait de Colin Maclaurin

En mathématiques, la formule d'Euler-Maclaurin (appelée parfois formule sommatoire d'Euler) est une relation entre sommes discrètes et intégrales. Elle fut découverte indépendamment, aux alentours de 1735, par le mathématicien suisse Leonhard Euler (pour accélérer le calcul de limites de séries lentement convergentes) et par l'Écossais Colin Maclaurin (pour calculer des valeurs approchées d'intégrales)[1].

Introduction : comparaison entre série et intégrale[modifier | modifier le code]

Soit f une fonction infiniment dérivable sur [1, +∞[ et n un entier naturel non nul.

On veut obtenir un développement asymptotique de la somme en la comparant à l'intégrale .

La formule d'Euler-Maclaurin donne une expression de la différence en fonction des valeurs de la fonction et de ses dérivées aux extrémités 1 et n et d'un reste :

Les nombres qui apparaissent dans la formule sont les nombres de Bernoulli.

La série obtenue n'est en général pas convergente mais on connaît plusieurs expressions du reste Rk,n de la formule qui permettent de majorer l'erreur ainsi faite.

Énoncé[modifier | modifier le code]

Formule d'Euler-Maclaurin[modifier | modifier le code]

Soient p et q deux entiers relatifs (p < q), f une fonction continue complexe définie sur [p, q]. L'énoncé qui suit exprime la somme avec l'intégrale , les valeurs de f (ainsi que de ses dérivées) aux extrémités f(p) et f(q) et d'un reste.

Si f est une fonction complexe continûment dérivable une fois sur le segment [p, q], la formule d'Euler-Maclaurin s'énonce ainsi :

avec

est la partie entière de x, notée aussi E(x), et est la partie fractionnaire de x.

Pour une fonction f continûment dérivable 2k fois sur le segment [p, q] (avec k ≥ 1), la formule d'Euler-Maclaurin s'énonce ainsi :

Les nombres b2j désignent les nombres de Bernoulli et le reste Rk s'exprime à l'aide du polynôme de Bernoulli B2k :

.

La notation B2k désigne le 2k-ième polynôme de Bernoulli et en est une version périodisée, de période 1, égale à B2k(x) si 0 < x < 1.

.

Les nombres de Bernoulli vérifient les égalités .

D'autres expressions du reste sont données plus loin si la fonction f est 2k + 1 fois dérivable ou 2k + 2 fois dérivable.

Formules sommatoires d'Euler-Maclaurin[modifier | modifier le code]

Si l'on somme de p à q − 1 les nombres f (i), on a :

.

Si l'on considère les nombres de Bernoulli d'indice impair : b1 = –1/2 et b2j +1 = 0 si j > 1, on peut énoncer la formule d'Euler-Maclaurin de la manière suivante[N 1] :

pour une fonction complexe f qui est r fois continûment dérivable (avec r > 0) :

On a si k > 0.

Avec les notations précédentes, l'expression du reste R'r pour une fonction complexe r fois continûment dérivable (avec r > 0) est la suivante[N 1] :

.

La notation Br désigne le r-ème polynôme de Bernoulli, et en est une version périodisée, de période 1, égale à Br(x) si 0 < x < 1.

.

(Les polynômes et les nombres de Bernoulli sont reliés par les égalités br = Br(0) = Br(1) si r > 1.).

Une autre formulation équivalente, où l'on somme de p + 1 à q, est donnée par Tenenbaum[2] : pour une fonction complexe f qui est r + 1 fois continûment dérivable (avec r ≥ 0) :

.

Le coefficient (–1)j+1 n'intervient dans la formule que pour j = 0. Son rôle est de remplacer le nombre de Bernoulli d'indice 1, b1 = –1/2, par b'1 = +1/2.

Expressions du reste[modifier | modifier le code]

Si f est 2k fois continûment dérivable sur le segment [p, q] (avec k ≥ 1), le reste Rk s'exprime de la manière suivante :

Si f est 2k + 1 fois continûment dérivable sur le segment [p, q] (avec k ≥ 0), le reste Rk s'exprime comme suit[N 2] :

Si f est une fonction réelle 2k + 2 fois continûment dérivable sur le segment [p, q] (avec k ≥ 0), le reste peut s'écrire des manières suivantes[3] :

Si l'on considère les nombres de Bernoulli sans leur signe (on a ), la dernière formule s'écrit[4] :

Remarque : le reste Rk est nul pour tout polynôme de degré au plus 2k + 1.

Majorations du reste[modifier | modifier le code]

Si f est une fonction complexe 2k fois continûment dérivable sur le segment [p, q] (avec k ≥ 1), on peut majorer le reste (ou « terme d'erreur ») de la formule d'Euler-Maclaurin en utilisant la majoration des polynômes de Bernoulli d'indice pair[N 3] :  :

.

Par exemple, avec , on a : .

L'inégalité, comme celles qui suivent, peut être réécrite en utilisant la formule due à Euler (pour k ≥ 1) : . On déduit que (on a l'équivalent : ).

.

Si f est une fonction complexe 2k + 1 fois continûment dérivable sur le segment [p, q] (avec k ≥ 0), en utilisant la majoration des polynômes de Bernoulli d'indice impair[N 3] : si  :

[N 4].

on peut majorer le reste (ou « terme d'erreur ») de la formule d'Euler-Maclaurin[5],[N 5] :

.

Cohen[6] donne la majoration suivante des polynômes de Bernoulli d'indice impair : , avec comme conséquence :

Avec une autre majoration de obtenue par Derrick Lehmer, on obtient l'inégalité[N 6] :

Pour le polynôme de Bernoulli B3(t), on a le maximum qui permet d'obtenir la majoration :

.

Signe du reste[modifier | modifier le code]

Si f est une fonction réelle 2k + 2 fois continûment dérivable sur le segment [p, q] (avec k ≥ 0), dont la dérivée d'ordre 2k + 2 est de signe constant[N 7], le reste Rk a le même signe que le « premier terme négligé[7] » :

.

De plus on a les majorations suivantes[7] :

.

et

.

(le reste suivant Rk + 1 n'excède pas (en valeur absolue) le « dernier terme retenu »[8]).

Si f est une fonction réelle 2k + 4 fois continûment dérivable sur le segment [p, q] (avec k ≥ 0), dont les dérivées d'ordre 2k + 2 et 2k + 4 sont de signe constant et de même signe, alors les restes Rk et Rk + 1 sont de signes opposés et le reste Rk est majoré (en valeur absolue) par le premier terme négligé[7] :

.

Démonstration[modifier | modifier le code]

On démontre la formule

sur l'intervalle [n, n + 1], avec n ∈ ℤ, puis on déduit la formule précédente par sommation sur n ∈ ℤ (p n q – 1).

Application à l'intégration numérique[modifier | modifier le code]

Intégration numérique[modifier | modifier le code]

La formule sommatoire peut être utilisée pour approcher des intégrales par un procédé discret, par exemple dans la méthode des trapèzes ou celle de Romberg, ou à l'inverse pour transformer une somme discrète (finie ou non) et lui appliquer les techniques du calcul infinitésimal.

La formule d'Euler-Maclaurin peut aussi être utilisée pour une estimation précise de l'erreur commise dans le calcul numérique d'une intégrale ; en particulier, c'est sur elle que reposent les méthodes d'extrapolation. La méthode de quadrature de Clenshaw-Curtis est essentiellement un changement de variables ramenant une intégrale arbitraire à l'intégration de fonctions périodiques, pour lesquelles la formule sommatoire est très précise (dans ce cas, elle prend la forme d'une transformée en cosinus discrète).

Formules d'intégration d'Euler-Maclaurin[modifier | modifier le code]

Intégration entre deux entiers[modifier | modifier le code]

Dans la méthode des trapèzes, on approxime l'intégrale par interpolation linéaire sur chaque intervalle [n, n + 1] : .

En sommant sur tous les intervalles de longueur 1, on approxime l'intégrale par la somme

La formule d'Euler-Maclaurin peut s'écrire :

Intégration sur un intervalle quelconque[modifier | modifier le code]

Un simple changement de variable permet d'obtenir une formule analogue pour une fonction définie sur un segment à bornes non entières. Les restes sont donnés avec le « point moyen » pour une fonction dérivable 2k + 2 fois.

En posant , on a[9] :

.

Le « terme d'erreur » peut également s'écrire : .

Si N = 1, on a une formule où n'interviennent que les extrémités a et b[10] :

Expressions du reste pour k = 0 et pour k = 1[modifier | modifier le code]

Expressions de R0 et erreur de la méthode des trapèzes[modifier | modifier le code]

Les premiers polynômes de Bernoulli sont :

.
.

(-R0) est l'erreur faite en approximant l'intégrale par la méthode des trapèzes sur chaque intervalle [n, n + 1].

Si f est continûment dérivable une fois (on pose [11]) :

Si f est une fonction réelle continûment dérivable deux fois[12] :

Formule de quadrature et terme d'erreur pour k = 1[modifier | modifier le code]

Les polynômes de Bernoulli qui interviennent sont[N 8] :

.
.

(–R1) est le terme d'erreur correspondant à la formule de quadrature[13], exacte pour les polynômes de degré inférieur ou égal à trois :

(dans l'article Calcul numérique d'une intégrale, il s'agit de la formule de Newton-Coates généralisée NC-2-2).

Si f est continûment dérivable deux fois (en posant [11]) :

Si f est continûment dérivable trois fois :

Si f est une fonction réelle continûment dérivable quatre fois :

Autres applications[modifier | modifier le code]

Le problème de Bâle[modifier | modifier le code]

Le problème de Bâle demandait de déterminer la somme

Euler calcula cette somme à 20 décimales en utilisant seulement quelques termes de la formule d'Euler-Maclaurin. Ce calcul le convainquit probablement qu'elle valait π2/6, résultat qu'il publia en 1735 (mais avec des arguments incorrects ; il lui fallut six ans de plus pour trouver une démonstration rigoureuse)[14].

Sommes polynomiales[modifier | modifier le code]

Si f est un polynôme de degré d et si l'on applique la formule sommatoire avec p = 0, q = n et k choisi tel que d ≤ 2k +1, le reste Rk disparaît.

Par exemple, si f(x) = x3, on peut prendre k = 1 pour obtenir

.

Développements asymptotiques de fonctions définies par une série[modifier | modifier le code]

Pour déterminer des développements asymptotiques de sommes et de séries, la forme la plus utile de la formule sommatoire est sans doute (pour a et b entiers) :

Ce développement reste souvent valide même lorsque l'on prend les limites quand a → –∞ ou b → +∞, ou les deux. Dans de nombreux cas, l'intégrale de droite peut être calculée de manière exacte avec des fonctions élémentaires, alors que ce n'est pas le cas de la somme.

L'écriture précédente doit être interprétée comme une série formelle, car, le plus souvent, cette série est divergente ; la formule ne peut en général pas être exploitée directement sous cette forme. Toutefois, Euler avait déjà remarqué qu'on obtenait une précision numérique remarquable en tronquant la formule au plus petit terme de la série, ce qui fut précisé et expliqué par les travaux d'Émile Borel[15].

Par exemple :

Ici, le membre de gauche est égal à , c'est-à-dire à la fonction polygamma d'ordre 1 (appelée aussi fonction trigamma) définie à partir de la fonction Gamma : .

La formule d'Euler Maclaurin amène à un développement asymptotique de , lequel permet une estimation précise de l'erreur de la formule de Stirling pour la fonction Gamma :

.

Notes[modifier | modifier le code]

  1. a et b Cohen 2007, p. 23. La formule avec son reste est donnée dans le cas, plus général, où les extrémités de l'intervalle sont des nombres réels a et a+N qui diffèrent d'un nombre entier naturel N. Cette formule est un cas particulier d'une formule donnée page 22 où les nombres de Bernoulli bj sont remplacés par les valeurs des polynômes de Bernoulli aux extrémités a et b.
  2. Dieudonné 1980, p. 303. Selon Dieudonné, il suffit que f admette une dérivée (2k + 1)-ème continue par morceaux.
  3. a et b Dieudonné 1980, p. 301. Dieudonné note Bk les coefficients .
  4. Le résultat est valable pour k = 0 en prenant la valeur du prolongement analytique de la fonction  : .
  5. Bourbaki, FVR, p. VI.20, donne la majoration .
  6. (en) Derrick Lehmer, « On the maxima and minima of Bernoulli polynomials », The American Mathematical Monthly, vol. 47, no 8,‎ , p. 533–538 (DOI 10.2307/2303833, JSTOR 2303833) donne la majoration suivante des polynômes de Bernoulli d'indice impair : si
  7. Selon Bourbaki, FVR, p. VI.26, il suffit que f soit 2k + 1 fois dérivable et que la dérivée d'ordre 2k + 1 soit monotone.
  8. Deheuvels 1980, p. 189. Noter que dans la notation de Deheuvels, les nombres de Bernoulli sont considérés sans leur signe ().

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. « Formule d'Euler-MacLaurin [sic] », sur bibmath.net/dico.
  2. Tenenbaum 2008, p. 23.
  3. Rombaldi 2005, p. 527 ; Hardy 1949, p. 325.
  4. Deheuvels 1980, p. 185-187 et p. 195.
  5. Dieudonné 1980, p. 304.
  6. Cohen 2007, p. 19
  7. a b et c Cohen 2007, p. 25.
  8. Tenenbaum 2008, p. 26.
  9. Rombaldi 2005, p. 330.
  10. Deheuvels 1980, p. 188.
  11. a et b Hardy 1949, p. 318.
  12. Hardy 1949, p. 319.
  13. Rombaldi 2005, p. 328.
  14. (en) David J. Pengelley, « Dances between continuous and discrete: Euler's summation formula », dans Robert Bradley et Ed Sandifer, Proceedings, Euler 2K+2 Conference (Rumford, Maine, 2002), Euler Society, (lire en ligne).
  15. Voir cette conférence de F. Pham

Bibliographie[modifier | modifier le code]

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